Il n’est jamais trop tard pour bien faire, dit-on. Sorti en 2022, Stray est un jeu d’aventure ayant pour protagoniste un chat tombĂ© dans un univers souterrain. Un peu moins de 3 ans aprĂšs sa sortie, j’ai dĂ©cidĂ© de m’atteler Ă  dĂ©couvrir cette pĂ©pite vidĂ©oludique dont l’excellente rĂ©ception est totalement mĂ©ritĂ©e.

Le chat allongé au sol aprÚs une chute dans un environnement sombre et sale, avec quelques végétations

Je n’ai jamais possĂ©dĂ© de chat, mais cela ne m’a pas empĂȘchĂ© d’ĂȘtre sĂ©duit par le concept de Stray. ContrĂŽler un petit fĂ©lin dans un monde fictif cyberpunk sur fond de thĂ©matiques d’amitiĂ© et d’aventures m’enchantait bien, surtout que la direction artistique semblait trĂšs soignĂ©e et gage d’une solide immersion.

Le chat allongĂ© sur un robot en train de dormir, un chapeau sur la tĂȘte.

DĂšs le dĂ©marrage du jeu, la musique du menu principal donne le ton. Lente, envoĂ»tante, sombre mais avec de l’espoir. Je lance la partie et me retrouve aux commandes d’un chat orange dont l’agilitĂ© est nettement plus dĂ©veloppĂ©e que celle d’un autre cĂ©lĂšbre chat orange fan de lasagnes. La scĂšne est magnifique, un titre rouge sous-titrĂ© apparaĂźt au centre de l’écran dans un alphabet inconnu et je peux commencer Ă  dĂ©placer avec dĂ©licatesse et attention le quadrupĂšde. Le dĂ©placement est naturel, souple, rĂ©actif, et les commandes sont intuitives. Je peux marcher, courir, sauter, miauler, interagir avec les autres chats de ma tribu. Je me balade au grĂ© de cette famille, j’observe et Ă©coute mon environnement proche, si joli, si bien dĂ©taillĂ©, fourmillant de dĂ©tails. Vient l’évĂ©nement dĂ©clenchant toute l’aventure. Le dĂ©cor passe au sombre sans perdre du soin apportĂ© Ă  celui-ci. Les Ă©crans et passages s’enchaĂźnent, appuyant les capacitĂ©s naturelles du fĂ©lin. Je prends plaisir Ă  admirer ce dĂ©cor, ces endroits oĂč je peux sauter et m’agripper, les objets que je peux renverser afin de libĂ©rer le passage. Je mets les pattes dans un petit appartement, au dĂ©cor tout aussi subtilement dessinĂ© que les autres types d’environnements que j’ai pu parcourir jusqu’alors, et je fais la rencontre d’un ami inattendu qui m’accompagnera pendant les prochaines heures de jeu.

Le chat recroquevillĂ© sur un coussin Ă  l’intĂ©rieur d’une habitation, prĂšs d’une fenĂȘtre.

Cette thĂ©matique des amis inattendus, elle est au cƓur de l’expĂ©rience que fait vivre Stray. Ce petit drone nommĂ© B-12 va ĂȘtre la porte d’entrĂ©e dans ce monde incroyable dans lequel le protagoniste est tombĂ©. En pouvant Ă©changer avec les habitants robotiques aux visages Ă  la fois aussi numĂ©riques qu’expressifs grĂące aux capacitĂ©s de traduction de B-12, le fĂ©lidĂ© va pouvoir tisser des liens, rencontrer des rĂ©sistants, des guitaristes ou simplement des hĂšres en quĂȘte de survie en les Ă©coutant, en collectant pour eux des objets ou en les sortants de situations parfois dĂ©licates. La deuxiĂšme grande thĂ©matique de ce chef d’Ɠuvre vidĂ©oludique est la survie. Assez rapidement, le monde se rĂ©vĂ©lera hostile, et pas uniquement envers le protagoniste. Petites crĂ©atures nĂ©es des dĂ©chets, drones de patrouille corrompus, robots sans Ă©tats d’ñme ni morales… Le chat errant devra compter sur sa rapiditĂ© et son agilitĂ© pour mener Ă  bien sa quĂȘte et celles que ses nouvelles connaissances vont lui confier.

Le chat dans un seau sur une poulie de fortune, traversant le vide au-dessus des taudis.

Ces sujets sont contenus dans un Ă©crin trĂšs brillant, c’est le moins qu’on puisse dire. La direction artistique ne souffre d’aucune critique. Les jeux de lumiĂšre mettent en avant les couleurs vives classiques des univers cyberpunk et futuristes, les intĂ©rieurs sont trĂšs bien modĂ©lisĂ©s et chacun avec leur identitĂ© propre, les extĂ©rieurs allant du sale et glauque des taudis jusqu’au cĂŽtĂ© chic du centre-ville avec sa discothĂšque et son magasin de vĂȘtements au vendeur suffisant en passant par FourmiliĂšre, un peu Ă  mi-chemin. Le soin apportĂ© aux interactions possibles avec l’environnement par le chat ou les robots est visible Ă  chaque instant. L’ouĂŻe n’est Ă©videmment pas en reste, la bande originale est Ă  l’unisson du visuel : parfaitement en accord avec la phase dans laquelle le protagoniste Ă©volue et diversifiĂ©e. PrĂ©sente sans jamais ĂȘtre envahissante, elle accompagne dĂ©licatement le joueur dirigeant le fĂ©lin dans ses pĂ©rĂ©grinations et participe Ă  l’excellente immersion de Stray.

Le chat prĂšs d’une table de mah-jong, avec un robot se prenant la tĂȘte et l’autre contemplant la scĂšne.

On en oublierait presque que l’on ne contrĂŽle pas un humain tellement ĂȘtre dans la peau de ce quadrupĂšde est naturel. L’aventure se dĂ©roule sans ennui, sans accroc, sans longueur, avec le plaisir d’une dĂ©couverte au grĂ© de l’exploration du chat errant dans ce monde regorgeant d’endroits cachĂ©s, de hauteurs sur lesquels se hisser en sautant de blocs de climatisation en auvents et balcons. L’absence de carte ou d’interface Ă  l’écran renforce cette immersion dans l’incarnation du compagnon Ă  quatre pattes et ne fait que dĂ©cupler le plaisir que l’on a Ă  glisser son museau dans chaque recoin, pour y collecter des objets dont l’utilitĂ© immĂ©diate ne saute pas aux vibrisses ou pour rĂ©soudre quelques Ă©nigmes bloquant la progression. Le jeu fait savamment appel Ă  l’implication du joueur ou de la joueuse, au besoin d’échanger avec les habitants du monde, Ă  partager leur vie, leurs difficultĂ©s, leurs sentiments, leur dĂ©tresse, avec une humanitĂ© aussi ressentie qu’inexistante. De fil en aiguille, on en apprend plus sur le monde dans lequel nous avons atterri, pourquoi certains robots vivent dans des bidonvilles, comment les dĂ©chets ont donnĂ© naissance Ă  des crĂ©atures et pourquoi les sentinelles font du zĂšle. Ici aussi, l’attention et la curiositĂ© de la personne derriĂšre l’écran sont finement sollicitĂ©es car celle-ci aura la possibilitĂ© de recomposer les mĂ©moires du drone l’accompagnant, permettant ainsi de lever le voile sur des pans essentiels du scĂ©nario Ă  travers le hĂ©ros non sans une pointe d’émotion et d’inspiration de notre monde rĂ©el. Toute cette recette ne fait que cultiver l’attachement qui se dĂ©veloppe dĂšs les premiĂšres minutes Ă  cette boule de poils, mais aussi au drone et aux personnages qui nous accompagnent, parfois le temps d’un Ă©change de bon procĂ©dĂ©, parfois Ă  travers les diffĂ©rents quartiers.

FourmiliĂšre, l’un des quartiers du jeu.

Cette ode Ă  la simplicitĂ©, Ă  la connexion Ă  des concepts essentiels comme la vie, la mort, l’attachement, la sĂ©paration, la confiance ou la trahison, et ce transcendant les espĂšces, est vĂ©ritablement le point fort du jeu. Stray dĂ©livre une expĂ©rience avec justesse et prĂ©cision : pas de contenu inutile, pas de mĂ©canismes sournois pour inciter Ă  dĂ©penser, pas de systĂšmes pour augmenter artificiellement l’engagement, bien loin de certains pans du monde de l’industrie vidĂ©oludique dĂ©goulinant de procĂ©dĂ©s douteux pour toujours plus essorer des licences Ă  succĂšs et gĂ©nĂ©rer du profit sans vergogne. Des personnages principaux trĂšs attachants, des thĂ©matiques poignantes savamment approchĂ©es, un univers si fictif mais si rĂ©el, sans humains mais empli d’humanitĂ©, avec ses bons et ses mauvais cĂŽtĂ©s. Un synopsis en apparence simple mais qui Ă©clot pour dĂ©voiler ses nuances et sa consistance. De la premiĂšre minute Ă  la derniĂšre, le soin et l’amour portĂ© lors de la crĂ©ation du jeu est criant. Empreint d’authenticitĂ©, Stray est dĂ©finitivement un jeu qu’il faut avoir terminĂ© pour en tirer toute la quintessence. Il semble trĂšs difficile de ressortir indemne Ă©motionnellement parlant de la huitaine Ă  dizaine d’heures nĂ©cessaires pour explorer les moindres recoins du jeu et profiter ici de tout ce qu’il a Ă  offrir, pour nos yeux, nos oreilles, et finalement, notre sentience.

Le chat, recroquevillé prÚs de Morusque, le robot guitariste.